Accident mortel de bus diffusé sur Internet : la colère de la mère de la victime (2024)

Pour Sandrine Barthélémy, c'est l'équivalent d'une double peine. Le 16 janvier, Johanna, 15 ans, sa fille unique, a été tuée par un bus alors qu'elle traversait la rue de la République, à Lyon (Rhône). La semaine suivante, des lycéens ont eu la surprise de recevoir sur leur téléphone, par l'intermédiaire des messageries WhatsApp et Snapchat, une vidéo de l'accident mortel. Un drame dans le drame, pour ces lycéens, comme pour la mère de Sandrine.

D'autant que sur les forums de discussions, les internautes anonymes n'hésitent pas à rendre la victime, qui traversait avec ses écouteurs et absorbée par son téléphone, responsable de ce qui lui est arrivé. Les enquêteurs ont vite retrouvé l'origine du film. Il vient du système de vidéoprotection de la voirie de la mairie dont l'un des agents a enregistré les images macabres avant de les diffuser sur les réseaux sociaux avec son frère.

Aujourd'hui, les deux hommes sont mis en examen. L'agent municipal a été suspendu de ses fonctions. Mais la vidéo, devenue virale, continue de circuler. Elle a été vue plusieurs dizaines de milliers de fois. Malgré la peine qui l'accable, Sandrine Barthélémy a décidé de sortir de son silence pour crier sa colère. « Le but d'un système de vidéoprotection est de protéger, pas de se livrer à du cyber-voyeurisme », rappelle-t-elle, « ce n'est pas un pigeon que ce bus a percuté, mais un être humain qui ne vit plus aujourd'hui. J'ai perdu ma fille unique ».

« C'était une jeune fille qui avait la vie devant elle. Elle travaillait bien et voulait devenir sage-femme. Elle était jolie, appréciée et avait beaucoup d'amis », poursuit la mère « choquée par ces comportements sans morale et sans limite ». « On diffuse aujourd'hui la mort en direct, la mort d'une enfant de quinze ans. C'est une atteinte au plus profond de l'être, ces personnes doivent être punies par la justice ».

Soutenue par les familles d'élèves

Sandrine a donc pris l'initiative de déposer plainte contre les deux hommes qui ont permis la diffusion de la vidéo. Elle est suivie dans sa démarche par plusieurs parents d'élèves destinataires de la vidéo, mais aussi par le lycée des Lazaristes où était scolarisée Johanna, ainsi que par son ancien collège.

Me Jean Sannier, l'avocat de la mère de Johanna dénonce, lui, une étape nouvelle franchie dans la violence des réseaux sociaux. « On assiste à une accélération brutale de la diffusion de l'information sans filtre », constate-il en pointant du doigt la responsabilité de la mairie de Lyon, qui gère le système de vidéoprotection. « Ceux qui s'autorisent à enregistrer des scènes de la vie quotidienne, comme c'est le cas de la mairie, doivent faire en sorte que ces enregistrements ne sortent pas », estime-t-il. « Il y a manifestement des carences dans le contrôle des images enregistrées puisque de simples agents, dont on ne sait même pas s'ils ont été sensibilisés à la déontologie, ont pu les enregistrer et les déverser sur les réseaux sociaux jusqu'à l'intimité du téléphone portable des adolescents. »

Pour l'avocat, cette affaire est d'une « gravité exceptionnelle », car elle renvoie les parents à l'incapacité de protéger leurs enfants. « L'effet de cette diffusion est explosif et personne ne peut en mesurer les effets, ni dans l'esprit de ces jeunes ni dans le nombre d'enfants qui vont visionner le film », considère Jean Sannier.

Pour tenter d'enrayer le phénomène qui continue à se propager, la direction départementale de la sécurité publique diffuse depuis mercredi sur son compte Twitter les peines encourues par ceux qui diffusent les images de vidéoprotection.

« Attention, en les partageant, vous vous rendez coupable de recel d'images pouvant entraîner une peine de 5 ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ». La ville de Lyon, elle, a rappelé à ses agents l'interdiction qui leur est faite d'enregistrer les images.

A #Lyon suite à l'accident qui a coûté la vie à une jeune fille de 16 ans le 16/01/2019, des images de la vidéo-protection circulent sur les réseaux sociaux.
⚠Attention! En les partageant vous vous rendez coupable de recel d'images➡5 ans d'emprisonnement et 375 000 € d'amende pic.twitter.com/3nwFS3oyjO

— Police Nationale 69 (@PoliceNat69) January 29, 2019

A PARIS, DES FAITS SIMILAIRES

La scène est effroyable. Fin septembre 2018, rue de la Jonquière (XVIIe), au nord de Paris, Louis, jeune homme de 28 ans, tombe du 6e étage de son immeuble. Dans sa chute, il s'empale en contrebas sur un potelet de trottoir. Les pompiers doivent scier le poteau pour pouvoir transporter la victime à l'hôpital ­Beaujon de Clichy (Hauts-de-Seine).

Au drame de la famille, s'ajoute une autre douleur : à l'instar de la lycéenne renversée par un bus à Lyon, plusieurs vidéos de l'agonie de Louis fuitent sur les réseaux sociaux. La première montre un écran de vidéosurveillance filmé, sur lequel on distingue la chute macabre dans la rue. Une enquête de l'IGPN a été ouverte pour violation du secret professionnel le 3 octobre dernier. Sur la vidéo, on peut apercevoir le logo de la préfecture de police de Paris, laissant penser à une fuite interne.« C'est d'un voyeurisme absolu », s'indigne la mère du défunt, Isabelle Cellier, qui a porté plainte au commissariat du XVIIe arrondissem*nt à Paris en octobre 2018 pour diffusion d'images violentes susceptibles de heurter les mineurs. D'autres images, prises par des passants, ont également circulé :« Si quelqu'un meurt, on ne l'aide pas : on le filme », dénonce la mère de Louis. Plusieurs comptes Snapchat et YouTube ayant diffusé la scène ont été identifiés.

Présentant la scène sous un autre angle, une autre vidéo a été repérée par Isabelle Cellier. On y distingue des voix similaires à la première. Mais cette fois-ci, elle a été postée sur un moteur de recherche espagnol. « C'est toujours plus compliqué de faire retirer une vidéo de sites étrangers », précise Maître Fanny Colin, qui défend la plaignante.

«Une recherche de pseudo-célébrité virtuelle et une barbarie ignoble»

La dernière vidéo est sans doute la plus choquante. Filmée au bloc opératoire de l'hôpital Beaujon, on y voit l'un des pompiers retirer le morceau d'acier du corps du mourant et l'exhiber devant plusieurs personnes qui filment et s'exclament bruyamment. Une troisième plainte a été déposée en octobre pour atteinte à la vie privée. « Ces vidéos relèvent d'une recherche de pseudo-célébrité virtuelle et d'une barbarie ignoble », déplore Isabelle Cellier.

L'enquête en cours permettra d'identifier ceux qui ont posté les images. « Les pompiers, la police et le SAMU sont pourtant censées inspirer la confiance », dénonce Me Colin. Isabelle Cellier a également demandé l'ouverture d'une enquête sur les causes de la mort de son fils, classée en suicide. Pour se faire, les nombreuses images de la scène s'avéreront utiles.

Bartolomé Simon

Accident mortel de bus diffusé sur Internet : la colère de la mère de la victime (2024)

References

Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Zonia Mosciski DO

Last Updated:

Views: 5821

Rating: 4 / 5 (71 voted)

Reviews: 86% of readers found this page helpful

Author information

Name: Zonia Mosciski DO

Birthday: 1996-05-16

Address: Suite 228 919 Deana Ford, Lake Meridithberg, NE 60017-4257

Phone: +2613987384138

Job: Chief Retail Officer

Hobby: Tai chi, Dowsing, Poi, Letterboxing, Watching movies, Video gaming, Singing

Introduction: My name is Zonia Mosciski DO, I am a enchanting, joyous, lovely, successful, hilarious, tender, outstanding person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.